Journal 1996-2000 Nicolas Lehoux

Extrait de Journal 1996-2000, Long et méthodique dérèglement de mes sens

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Brûlerie St-Denis, 11h30. Je sirote tranquillement un bon café. Je pense à ma vie, ce que je veux en faire cette année, les sacrifices que je suis prêt à faire.

J’analyse franchement la possibilité du bien-être social. Une des strates la plus basse de la société québécoise. Avantage: je vais avoir tout mon temps, le temps de réfléchir, d’envisager, de comprendre la vie en dehors du système qui m’oppresse. Je ne veux pas travailler tout de suite, pas dans quelque chose qui me fait chier. J’ai tellement à faire pour me former, me structurer. Le désavantage est monétaire. Je repense à Carnior et d’autre gens sur le BS que j’ai côtoyés.

Cet état minimal ne peut que m’aider à me retrouver moi-même, à ne rien accepter qui ne soit pas fondamentalement en résonance avec moi-même. Je me sens pressé de commencer une autre vie que je ne veux pas mener. Oublie tes rêves, travaille pour le système.

Qu’est-ce que la vie si l’on ne peut décider soi-même le chemin qui nous convient le plus? Je suis sain d’esprit, je vois loin et je sens ce passage à travers la pauvreté comme essentiel à la réussite de ma carrière. J’ai encore tant de livres à lire, tant de questions à poser.

Pour mon rêve je suis prêt à sacrifier l’argent. Selon moi un an ou deux de pauvreté vont m’aider à retrouver mes vraies valeurs, loin de celles des autres. Me comprendre et pénétrer le milieu de l’art montréalais, créer ce réseau si important à la réputation d’un artiste.

Je me sens bien. Je veux disposer de mon temps à ma guise, évoluer sans cadre fixe. Je suis riche à l’intérieur et mon bonheur ne dépend pas de la richesse.

«Les grands artistes sont avant tout des grands hommes.»

Voilà bien une phrase qui résume où mon travail doit se concentrer. Tout ce qui peut me déranger autour doit être mis en sourdine pour ne pas dire éliminé.

La pauvreté devrait normalement me fermer beaucoup de portes, celles dont je ne désire justement pas l’influence. Je dois découvrir le réseau informel de Montréal: les lancements, les galeries, les performances, connaître les principaux intervenants, connaître les personnes clés du réseau et m’y faire connaître. Tout ce qui s’obtient sans l’argent; le vrai, le cordial. Carnior a suivi une démarche intéressante. Je ne dois pas sauter les étapes car le précipice est de plus en plus profond.

En appliquant au BS (bien-être social) je rejette symboliquement le rôle que l’on veut me donner dans le système. Je suis prêt à en faire partie, à condition de bien en comprendre les structures, que je puisse avancer en toute connaissance de cause.

La carrière en affaires ne m’intéresse pas pour l’instant. Seul mon talent d’artiste doit être travaillé. C’est en forgeant qu’on devient forgeron. C’est en étant artiste que l’on devient artiste. Pour l’amour de l’art, de mon art, je renonce à tout. Je dépose les armes.

Remettre les pendules à l’heure, recommencer à zéro. La cohabitation avec moi-même se fera bien, j’en suis sûr. J’appréhende ma vie pour l’année à venir et, étrangement, je me sens terriblement vivant. Je fais un pied de nez à tout le monde. Vous ne m’aurez pas. Regardez! J’en fais à ma tête! Perdez votre vie si cela vous chante, moi je veux vivre, respirer chaque minute qui m’est dédiée.

Vivre à temps plein, voilà un bel emploi. La vie peut-être très simple si on le veut vraiment, si belle lorsque l’on est libre. N’y ai-je pas droit, en tant que liberté fondamentale? Est-ce que parce que je suis minoritaire dans ma manière de penser je dois suivre un mouvement de masse qui ne va pas dans le sens de ma quête? Dois-je, sous le prétexte d’une sécurité illusoire, suivre le troupeau? On a déjà vu des troupeaux se jeter en bas de falaise et se tuer sans comprendre ce qui se passe. Je ne veux pas tomber. Je suis prêt à suivre le troupeau de loin, au moindre signe de débâcle je m’enfuis.

Cette année doit absolument être dédiée corps et âme à l’augmentation de ma culture générale et de ma technique. Je dois devenir une machine bien huilée, nerveuse. Lire le plus de biographies possible pour en déduire des axes solides et directeurs. Être superstar est un métier. Je m’y dédie et jure d’en apprendre les rouages.

Une bonne compréhension des systèmes politiques, des systèmes philosophiques et mystiques est nécessaire. Une compréhension des phénomènes médiatiques et des effets de masses de l’amour et de la passion aussi. Beaucoup de travail, une masse énorme est devant moi. La démonter en ses plus simples composantes, voilà le chemin à suivre. Descartes est logique.

Revoir ma carte de carrière, la solidifier. Mettre des dates fixes, la faire démolir par certaines personnalités fortes. Solidité, but précis, observation, délégation.

Je me sens si jeune, si inexpérimenté dans ce monde qui fonctionne très bien sans moi. Pour en avoir une compréhension objective je dois m’en sortir.

Je ne peux à cet instant que me répéter… «Prend ta vie en main ou on le fera à ta place.»

J’ai vingt-trois ans, j’ai donc sept ans pour devenir millionnaire. Les deux premières années doivent être consacrées à raffermir ma technique, mon propos. La base même de ma personnalité va se forger, mûrir.

Le noyau d’un artiste est sa personnalité propre, sa manière de vivre, d’envisager la vie. Avoir une vision forte de ce dont il doit accomplir.

Mon inexpérience de la vie doit être compensée par une technique extraordinaire. Je possède la fougue de la jeunesse, l’impétuosité du cheval sauvage.

Sitôt que ma situation sera stabilisée je dois me créer un programme strict pour arriver à mes fins. Rien ne presse pour l’instant. Réfléchir sur la vie ne demande aucune structure. On se laisse balloter sans résister aux évènements. Le hasard fait son œuvre.

Je dois vivre à 100% mon rêve et non faire des concessions pour y arriver. Depuis que je suis jeune j’en ai toujours fait. Maintenant j’appose mon verdict. J’ai le droit de décider de ma vie. J’exige un arrêt momentané pour la regarder en face. Comme dans une autre partie de l’espace-temps, en retrait mais tout le temps bien présent. Je me sens enfin exister! Je me sens enfin responsable! Ma vie m’appartient. Que vais-je en faire?

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Extrait de Journal 1996-2000, Long et méthodique dérèglement de mes sens

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