Journal 1996-2000 Nicolas Lehoux

Extrait de Journal 1996-2000, Long et méthodique dérèglement de mes sens

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Salut Amélie,

Me voilà en encre, plus vivant que jamais. L’écriture est un moyen de communication que nous n’avons pas utilisé jusqu’à maintenant. Voilà une occasion de découvrir un autre plan de notre personnalité.

Qui es-tu Amélie? C’est une question que je me pose depuis le début. Pour moi tu es une jeune fille extraordinaire. Tu possèdes la fougue de la jeunesse, mais cette fougue semble guidée par un œil félin, observateur et calculateur. J’adore chaque partie de ton corps, si féminin, si fragile, si gracieux, si doux. Tu es très jolie et cette beauté me touche profondément.

Tu me respectes et fais attention à moi. Je n’oublierai jamais le fait que tu es venue en personne pour m’annoncer ton coup de foudre, pour moi c’est la plus grande preuve de respect que tu as pu me faire. Pour cette raison mon amour pour toi n’en est que plus grand. J’admire les gens au cœur pur qui affrontent les obstacles debout, affrontant leurs peurs, leurs décisions.

Tu m’as confié que je t’avais permis de devenir une femme, servant ainsi de catalyseur à ta féminité encore naissante. Comment cela s’est-il produit? Explique-moi l’Amélie de départ et Amélie la nouvelle femme, son cheminement. Comment certains aspects de ma personnalité ont fait maturer les tiens?

Je suis curieux car, ces derniers temps, la porte de ton cœur s’est refermée, bloquant les informations qui auraient pu m’éclairer sur toi, tes rêves, ta vision de la vie. Au moment où mon amour s’est mis à grandir exponentiellement la porte a claqué, me laissant dehors, éperdu, embêté, triste.

Tu sais, moi aussi je suis un psychologue de la vie. Les comportements humains me laissent bien souvent pantois, parfois la société peut être tellement absurde. En fait j’ai parfois l’impression que j’ai un compte à régler avec elle au lieu de m’y laisser porter sans réagir. Je cherche à la comprendre. Je suis un visionnaire mais ma vision est obstruée par tellement de bruits de fond, de parasites, d’idées préconçues que, malgré le fait que j’en suis conscient, j’ai l’impression de ne pas voir correctement les choses, les gens, la vie. Souvent tu m’as vu te reprendre sur les idées préconçues que tu te faisais sur diverses personnes comme une «abeille». Cette discipline je me l’impose quotidiennement, remettant en question les idées colportées par les rumeurs, analysant ses effets sur la perception des gens. Ce genre d’idées a tendance à salir et je m’en tiens loin le plus possible.

Je sens à l’intérieur de moi ce Dieu dont je t’ai souvent parlé (entendre: être supérieur, donc d’un pouvoir sur l’homme et d’attributs particuliers, Petit Robert). Je sens que mon anarchisme, si je le sublime, l’alimente d’information, pourra murir en une philosophie digne, droite, solide. Si j’apprends à le communiquer, à le transmettre, je peux avoir un pouvoir sur l’humanité, lui permettre au moins de s’autocritiquer pour changer les choses pour le mieux.

Pour cette fois, je ne m’étendrai pas plus loin sur ma personnalité. Sache que les questions que tu as pu te poser sur moi, mon comportement, etc. ont probablement déjà été abordées par mon esprit méthodique, et je l’espère répondues et classées. Je me connais très bien car j’ai entrepris depuis longtemps la tâche de comprendre la dualité de ma personnalité, la perfection auquel elle aspire. Une grande quantité de lectures m’a permis d’en dégager quelques axes principaux, mais sa complexité est si grande que parfois je reste sidéré par les excès de spontanéité qu’elle se permet, comme pour me dire qu’au moment où l’on croit connaître quelqu’un on ne voit en fait qu’une facette de celle-ci qui cache derrière elle un monde encore inexploré, inconnu, incompréhensible de prime abord.

J’aimerais que tu m’écrives. Écris-moi de toi, les phases de notre relation, ta perception de celle-ci, de moi, ton être métaphysique, etc. Je pourrai par la suite te parler plus de moi, tout au moins de ce que j’en comprends jusqu’à maintenant.

Je t’aime Amélie, comme je n’ai jamais aimé avant. Tu allies la beauté physique et la beauté morale qui sont très importantes pour moi. C’est cette perfection qui me rend fou chez toi.

Je t’aime.

Nicolas Lehoux

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J’ai commencé ma recherche d’emploi intensive aujourd’hui. Reprise en main forcée de moi-même après une longue dérive de trois mois. J’avoue sincèrement que j’aimerais continuer, mais bon, la réalité a décidé de me snapper en pleine face par des attaques successives à répétition. Bang Bang Bang. Je ne sais pas pourquoi j’hésite à me renouer. J’aime bien cet immobilisme, cet état d’arrêt où enfin je regarde sans me mêler. Je travaille sur moi, me forge une personnalité en laissant de l’eau couler sous les ponts. J’avoue que je suis monté très haut cette fois, et je ne crois pas que ce sera la dernière. J’aime les hauteurs et pourquoi m’en priver.

Avant-goût prometteur des hauteurs que je pourrai atteindre dans quelques années. Je crois que l’important pour moi c’est d’être artiste, d’avoir confiance en moi sans le support extérieur du jugement d’autrui, avoir une vraie personnalité forte et ne pas dépendre du succès pour être heureux, avoir des amis, des maîtresses, être vrai.

Ma désorganisation, lorsque j’ai décroché, était très logique dans son chaos. Cet été j’étais léger. Je n’avais besoin de personne. Pourquoi maintenant j’ai tant besoin des gens. Bien sûr ma peine d’amour entre en jeu mais je crois que ce n’est qu’un indice qui mène à autre chose.

J’ai découvert que la vie ce n’est pas qu’une carrière. Il faut vivre. Cette mise au point est trop tôt d’après moi, mais puisqu’elle se produit il y aura certainement du changement dans ma vie. J’ai aussi oublié beaucoup de gens pour vivre mon histoire d’amour avec Amélie. Mais j’aime cet éloignement, ce genre de relation serrée où plus rien n’existe autour.

Je crois qu’il faut que je vive encore des émotions très fortes pour me secouer, pour admettre que tout est possible, que tout peut arriver. Plus elles seront fortes, plus je vais me découvrir. Affronter mes peurs une par une, les dominer.

Je vis un moment intense de retour avec moi-même. Suis-je capable de me supporter, de supporter les aléas de la vie? Dans sept ans je dois être millionnaire, tout dans ma vie doit être orienté vers cette direction, la vie que je désire vraiment, c’est-à-dire voyager où bon me semble, créer lorsque j’en ai envie, ne plus dépendre monétairement de personne.

Je me perds complètement dans la technique. Tellement de choses nouvelles m’attaquent que je n’ai même pas le temps de chercher un style. Je ne suis qu’un lieu de passage, en perpétuel remaniement. J’ai mal de cette perte d’identité, de cette pluralité alors que je me suis toujours cru singulier. Je ne suis qu’un parmi tant d’autres, obligé de travailler dans autre chose à cause de mon manque d’expérience, mon manque de technique. C’est un dur coup je l’avoue, mais il me le fallait et je suis très content de souffrir de la sorte. Cela me grandit. Je deviens un homme responsable de son destin, conscient du travail qu’il devra accomplir, de la sueur qu’il doit produire pour atteindre ses objectifs.

Je m’imagine un gros paquebot de croisière, trop lourd pour réagir prestement, voyant l’obstacle s’approcher et ne pouvant l’éviter à cause de son poids trop grand. Se crashant en toute connaissance de cause, attentif au moindre détail, conscient de la pénétration lente et méthodique de l’iceberg dans sa coque.

Devant ma puissance on ne peut que se tasser sous peine d’être sauvagement piétiné. Je ne peux ralentir, ma masse trouve peu à peu sa vitesse. J’ai l’impression de commencer à vivre. Enfin je suis maître de mon destin, seul mon œil de lynx peut me guider maintenant. La liberté m’enivre. J’ai conscience de commencer très bas, mais au moins je commence à zéro, aucune dette à rembourser. Merci Papa. Je te revaudrai cela un jour.

Je commence enfin à performer, à être très bon. Je dois devenir un virtuose. J’ai le talent. On me l’a confirmé. Talent + travail = réussite.

Ce talent il est là. Je n’ai qu’à l’exploiter, à le libérer. Je crois que l’important pour moi est d’augmenter ma culture au maximum. Je dois côtoyer de brillants intellectuels qui m’apprendront leur vision, me partageront leur culture. Je peux leur donner l’énergie de la jeunesse, sa curiosité sans borne, sa fraîcheur et cette incroyable capacité d’imagination que je sens être différente de beaucoup de gens.

Imagination, remise en question, coup de théâtre, innovation, créativité. Choisir une direction, s’y tenir peut importe ce que les autres en pensent. Ils seront à ma remorque tôt ou tard de toute façon. Je suis un grand homme. Je le sens, mon sens de la démesure doit être exploité à l’extrême. Un sens de la démesure extrême couplé à une imagination fertile, tout est possible. Il me suffit de l’imaginer.

Aujourd’hui j’ai acheté de la spiruline et du ginseng pour repartir la machine. Ma peine d’amour m’a passablement amorti mais en réalité je crois que je le suis depuis le début de l’été; un laisser-aller jouissif, une dérive semi-contrôlée.

Cette dérive a pour fonction de refaire le plein d’énergie avant la tempête. Mes vingt années d’études m’ont épuisé, corrompu par une masse d’information trop grande pour être analysée correctement sur le moment par manque de temps et d’expérience de vie. L’université a été particulièrement pénible car j’ai dû apprendre à penser autrement, à voir d’autres facettes de moi-même qui sont cachées dans l’ombre du monstre graphique. Maintenant, ou d’un moins cet été, j’ai le temps, le temps de réfléchir, de comprendre la vie, de la goûter. Je ne veux pas être pressé. Je veux aller à mon rythme, celui qui me permet de réussir réellement ma vie. J’ai bien dit ma vie en non ma carrière. Avec Amélie, j’ai existé en tant que personne et non en tant qu’artiste. Voilà pourquoi je me fais subtil. Il est obligatoire pour moi d’exister vraiment, ne pas oublier le Nicolas en moi, cet être sensible, réservé qui aime le confort du prévisible, la douce chaleur de savoir qu’une femme l’aime et qu’elle ne le quittera pas demain. Cette douce sécurité est ce que Nicolas recherche. Leou est bien différent. Il est un grand amateur de sensations fortes, d’extrêmes. Quelle femme pourra aimer ces deux opposés sans en étouffer un? Voilà une question qui mérite questionnement. La relation que j’ai eue avec Amélie m’a semblé idéale; il aurait fallu que je lui dise que je l’aime et que le manège marchait bien. J’ai l’impression d’être une autre personne du jour au lendemain. Tout a basculé. J’ai pris Amélie pour acquis, tout a basculé au moment je m’y attendais le moins, au moment où sa présence était indispensable pour amortir le choc provoqué par mon infiltration du milieu homosexuel, de mon expérience sexuel avec un vieux crisse. J’ai vécu à cent mille à l’heure ces moments de folie pure où soudain tout est remis en question, ces moments où ma propre existence, ou celle de mon corps, s’engage dans un chemin très chaotique, où à chaque moment la situation peut sauvagement dégénérer. Lorsqu’on fait affaire avec des gens borderline tout peut arriver. Tout est permis dans ce monde.

Amélie possède assez de féminité pour me faire oublier cette expérience traumatisante. J’ai tiré beaucoup de cette expérience. Mon attirance pour les hommes est devenue répulsion agressive. Cette senteur trop virile me monte droit au cerveau. J’ai besoin de la présence sucrée d’une femme et non celle de dominateur que dégage l’homme. Je comprends mieux le phénomène de domination. La relation dominant-dominé est quelque chose d’assez abstraite tant qu’on ne la pas vécue. Lors de cette relation sexuelle j’étais le dominé. Par choix ou par je ne sais quel jeu de circonstance où j’ai abandonné mon sens critique, où je me suis laissé guider par une personne plus expérimentée, plus vieille, en situation de pouvoir momentané.

Je me sens tellement supérieur, tellement dominant qu’une telle situation rétablit l’équilibre dans ma personnalité, dans mon existence. Voilà pourquoi je dois m’informer sur les génies, pour mieux me comprendre.

Je sens que dans les années qui vont suivre je vais en baver. Je vais recevoir de grands coups en plein visage autant positif que négatif. Et ce flot d’impression, ne pourrai-je l’échanger avec des gens? Voilà quelque chose que je devrais apprendre, mais pas à n’importe quel prix et pas avec n’importe qui.

Je crois qu’Amélie est une personne qui en vaut la peine. Les semaines prochaines vont certainement être décisives pour notre relation à venir. Qui sait ce qui va arriver. Souvent j’aimerais devancer le temps au lieu de vivre pleinement le moment présent. Présentement je suis en contact avec ma force intérieure latente que je tente d’amortir pour être plus tendre à l’extérieur. Même si je dois y perdre des plumes je veux continuer à être fragile, à m’emporter facilement vers l’Éden de la jouissance sensitive.

Le soir c’est Nicolas qui écrit, méthodique, qui fouille chaque recoin de son intérieur pour trouver la solution au mal existentiel qui m’habite présentement. Vider l’intégralité des émotions qui m’habite, m’en laver. Il me semble que plus les feuilles se remplissent d’encre, meilleur est mon tonus émotif.

Dans un tel moment de crise je ne crois pas que Leou est bon à quelque chose, les extrêmes ne sont pas très bons pour la santé physique. Un gestionnaire doit alors s’emparer des évènements et d’un œil alerte gérer la situation, la mener à bon terme, achever ce que l’imagination dépravée a mis en désordre, a produit.

La force de ma personnalité est cet alliage gagnant que possèdent certains êtres. Les côtoyer ne peut que m’être bénéfique, me comprendre à travers eux, leur expérience, leur vécu, leurs erreurs, leur rage de vivre ressemble certainement à la mienne à quelques paragraphes près. J’ai faim, mais j’hésite à me préparer quelque chose de substantiel. J’ai l’estomac noué par les émotions vives qui m’assaillent. Sous mes apparences de contrôle se cache un petit enfant qui a peur, qui veut qu’on le cajole. Patience, ce moment arrivera tôt ou tard. Patience. La Patience est une vertu. La ténacité son meilleur atout.

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Extrait de Journal 1996-2000, Long et méthodique dérèglement de mes sens

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